Depuis les années 70, de nouveaux modes de consommation ont mis à mal la vitalité des centres-villes. Actuellement, le développement du commerce en ligne accentue encore cette tendance. De nombreuses communes souffrent ainsi de la désertification de leur espace public principal.
Nous vivons dans un monde schizophrénique où, d’un côté, la construction de centres commerciaux continue d’être autorisée en bordure de ville, et de l’autre, nous nous lamentons de la mort annoncée des centres-villes. Tout un chacun s’accorde sur ce triste constat, et nombre d’idées fleurissent pour le contrer, pas forcément toutes en lien avec le « marchand ». En effet, les déplacements des habitants sont loin de se limiter à faire leurs courses. Dans notre région, les communes ne disposent pas de beaucoup de biens immobiliers, il leur est donc problématique d’agir sur le foncier. Hélas, nombre de propriétaires (assurance, fonds de placement…) ne participent pas à la vie locale, et restent parfois difficilement identifiables. Cette situation représente un blocage majeur pour la location. La dynamique d’un centre n’est pas à prendre à la légère. En effet, celle-ci demeure un point d’attractivité important, surtout pour d’éventuels nouveaux habitants. Plus il est actif, plus il alimente les finances de sa commune. Celle-ci dispose ainsi davantage de recettes pour investir, notamment dans des manifestations créant du trafic, tout en augmentant sa notoriété, son rayonnement.
L’objectif : une présence humaine diversifiée sur une amplitude horaire maximale
Un centre-ville peut se développer pour devenir un centre de vie. Il ne s’agit pas seulement d’avoir des commerces, mais aussi des points de rencontre tels que des ateliers d’artistes ou d’artisans, une crèche, un espace de coworking, des lieux intergénérationnels, d’autres dédiés aux sports, etc. Des ancrages qui créent de l’interaction dedans/dehors. Par exemple, les artisans et les artistes peuvent ouvrir leurs ateliers ; l’espace de coworking accueillir des événements (s’il intègre une crèche, comme c’est le cas à Lausanne, « I work U play », des activités pour les petits peuvent y fleurir) ; les lieux intergénérationnels organiser des soirées de jeux ou de danses, etc. Certains sites peuvent même changer d’affectation en fonction de l’heure de la journée. À Zürich, un cinéma et une école partagent la cour de récréation. Elle est ainsi occupée le jour par les enfants, le soir par des adultes. La mise en scène de la rue représente un élément à considérer. Elle peut être concrétisée par des bornes informatives générales, mais aussi historiques, des sources de fraîcheurs, des jeux pour tous, des lumières, de la fluidité pour traverser ou accéder d’un lieu à l’autre. Imaginez des rotations d’activités en mode « effet de surprise », en collaboration avec des artistes, des artisans ou des musiciens, permet de créer une envie de rendez-vous avec la rue, en mode : « Allons voir ce qu’il y a de nouveau sur la place du Marché ».
Vivre sa ville
Aujourd’hui, le mot « expérience » résonne auprès du plus grand nombre. On ne va plus juste en ville pour aller en ville, on y va pour y vivre une expérience, pour partager, pour se rencontrer, pour apprendre. Le flou des frontières entre les lieux et leur assignation attire. Les tiers-lieux, modèles où l’on peut à la fois, boire un verre, lire un livre, voir une exposition, acheter des produits du terroir, etc., se développent, y compris dans des zones rurales profondes. Chez nous, Le Diable Vert à Bex ou encore QAP à Aigle illustre cette tendance. À l’échelle d’une commune, dans une même rue, un même quartier, on peut manger, s’amuser, acheter des vêtements, assister à une discussion, jouer, visiter un atelier d’artiste, prendre soin de soi, travailler, que sais-je encore !
La mutualisation des ressources a aussi le vent en poupe. Le coworking dispose d’un photocopieur, alors il peut proposer aux commerces et aux structures voisines de l’utiliser, afin d’éviter que chacun acquière le sien. L’atelier d’artiste bénéficie d’une belle terrasse, pourquoi ne pas y organiser quelques concerts quand le temps le permet ?
Plus-value économique vs plus-value sociale
La plus-value économique ne peut plus être la seule à être prise en compte dans l’attribution de locaux ou de places dans la ville. La plus-value sociale, créatrice de liens, est fondamentale à l’épanouissement et au bien-être des habitants. Elle est nécessaire pour que plus de familles et d’entreprises aient envie de venir s’installer. Dans ce sens, le rôle moteur des communes est crucial ! Si elles n’ont pas directement de prise sur le foncier, elles peuvent envisager des appels à projets avec des prix attractifs, puis encourager les porteurs sélectionnés, et enfin les accompagner. Elles peuvent travailler main dans la main avec les sociétés locales, comme les Systèmes d’échanges locaux (S.E.L), les « Repair Cafés », mais sans se reposer sur elles. Leur implication financière ne doit pas être sous-estimée, de même que des collaborations avec les Offices de tourisme, autres acteurs majeurs de la vie d’une cité. Les communes doivent allouer des budgets pour augmenter leur visibilité ainsi que leur attractivité. Elles doivent apprendre à communiquer leurs atouts tout en réfléchissant à de nouveaux. Le temps des élus est, certes, différent de celui de l’opérationnel, mais la réactivité est de mise au XXIe siècle.
Ouvrons les perspectives
Et si nous imaginions un abonnement à des biens et services locaux pour réduire l’empreinte carbone, pour stimuler l’économie locale, et créer une nouvelle vision du vivre ensemble, comme le projet « Locali », lancé par la Chambre de l’économie sociale et solidaire, APRÈS-Genève ? Qu’en est-il des aménagements urbains ? Un centre-ville a vocation à accueillir, son atmosphère est primordiale. Elle passe par le mobilier, mais aussi par la mobilité installée dans la ville. Est-il facile de m’y rendre ? Existe-t-il un service de livraison simple fédérant plusieurs commerces, et grâce auquel je peux circuler sans voiture ? Le centre est-il piétonnier ? Y a-t-il des bancs à l’ombre, des fontaines de fraîcheur quand le thermomètre s’envole ou des éclairages pour se sentir en sécurité à la nuit tombée ? Si on se pose ici ou là, que peut-on découvrir ou apprendre sur la ville, son histoire, ses événements ? Les habitants qui le désirent, peuvent-ils travailler sur place sans prendre leur voiture ?
Soutenir les coopératives d’habitations représente aussi un moyen d’attirer de nouveaux habitants engagés dans la culture du lien et souhaitant s’investir dans la vie locale. Dans le Chablais, la Cohacha (Coopérative d’Habitation du Chablais) existe (lire article paru dans notre édition n°155). Que dire de la création d’une foncière solidaire ? Ce type de structures existent en France depuis 2014, elles ont pour mission d’acheter et de gérer des terrains (bâtis ou non), pour y réaliser, ou y réhabiliter des logements accessibles à des prix abordables (locaux à usage mixte professionnel et d'habitation). Cet état d’esprit reflète celui de certains architectes, dont les préoccupations environnementales fortes sont en avance sur la réalité du marché immobilier. Citons Simon Teyssou : « Le verbe actuel est ménager l’existant plutôt qu’aménager du neuf. Nous devons repenser notre rapport au territoire. Pour cela, il faut le connaître, l’aimer et ne pas rester figé face au patrimoine ordinaire ».
Pendant des décennies, nous avons séparé les lieux. Ici, je dors, là, je travaille, ailleurs, je m’amuse. Ce modèle en étoile a éclaté nos espaces, et généré des temps de trajets devenus longs. Aujourd’hui, nous sommes de plus en plus à la recherche de moyens de mixer les fonctionnalités. Les circuits courts, le terroir, l’authenticité résonnent. Cela ne veut pas dire que nous n’irons plus dans les grandes surfaces, mais que nous irons d’autant plus boire un verre après le dîner, si, non loin du café où nous retrouvons des amis, une place de jeu permet aux enfants d’être actifs, si après ce moment, nous pouvons débusquer un cadeau d’anniversaire dans une boutique de créateurs ou un pop-up store, et visiter un atelier d’artiste, etc. Le réflexe de prendre la voiture reste encore solidement ancré, pourtant, la recherche d’un temps qualitatif fait son chemin. Si je prends un peu plus de temps en transports publics, mais que ce temps est utilisé à autre chose que de me stresser sur la route, comme de travailler en partant et de me détendre en revenant, peut-être que finalement, il n’est pas si « perdu ». Les mentalités évoluent moins vite que le cadre légal dont nous avons besoin, mais ce dernier, de plus en plus contraignant, notamment pour les normes d’hygiène, engendre des fermetures de cafés ou de restaurants. La mise aux normes est devenue trop chère pour nombre d’exploitants. Peut-être que le bon sens d’antan nous fait un peu défaut aujourd’hui. L’avenir nous le dira, ou pas.
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