Guillaume Duret, originaire de France, habite Aigle depuis 2007. Son CAP de menuisier en poche, il commence son tour de France, chez les Compagnons du Devoir. Dans ce cadre, il découvre de nombreuses villes de l’Hexagone, et choisit la Suisse pour son année à l’étranger. À son compte depuis 2021, il revient sur son parcours atypique et sa philosophie en tant qu’entrepreneur.
Quelle a été votre vie avant votre arrivée en Suisse ?
Je suis né à Rochefort sur mer près de l’île de Ré. Une enfance difficile m’a conduit sur des chemins de traverse, mais j’ai eu la chance de rencontrer un professeur qui m’a pris sous son aile. Grâce à lui, en étudiant beaucoup, j’ai rattrapé mon retard. Je vivais dans une institution qui proposait 4 formations : maçon, horticulteur, technicien de surface et menuisier. Pour être honnête, la dernière m’a attiré parce que c’était la seule qui permettait de travailler à l’intérieur. Le professeur était Compagnon. Mes camarades et moi avons appris sans nous en rendre compte. J’ai découvert l’importance du plaisir dans le travail du bois.
Ce professeur vous a-t-il ouvert les portes du compagnonnage ?
Oui, j’ai été « adopté » à la suite de ma formation de base, mais ça n’a pas été de tout repos. Les exigences des Compagnons sont nettement supérieures à celles du CAP. J’ai dû partir à Saumur pendant une année afin de me mettre à niveau. La journée, je travaillais en entreprise comme tout le monde. Le soir après le repas, je suivais des cours de dessin et des cours théoriques. Le week-end, atelier le samedi et visites culturelles le dimanche. L’enseignement était donné par des Compagnons plus âgés. Aujourd’hui encore, la transmission demeure un axe essentiel de l’apprentissage. Ensuite, j’ai été envoyé à la maison des Compagnons à La Rochelle, et j’en éprouve toujours une très grande fierté.
Votre relation avec votre associé et vos collaborateurs s’inspire-t-elle des vertus compagnonniques ?
Fidélité, honnêteté, fraternité, courage, générosité, discipline et patience restent des points d’ancrage forts au travail, mais aussi dans la vie. J’ai d’ailleurs souhaité créer ma propre structure pour les appliquer pleinement. Je dis souvent que mon entreprise est un État dans l’État, et que je peux y faire ce que je veux. Ce n’est, hélas, pas tout à fait vrai, mais c’est mon aspiration profonde. Elle provient des valeurs transmises étroitement liées avec le sentiment de justice qui m’est très cher.
Avant de devenir entrepreneur, vous avez travaillé dans plusieurs structures en Suisse.
Je suis arrivé en 2007 chez Daniel Fournier à Martigny. Les débuts ont été déroutants. Les termes techniques, le nom des outils, la façon de travailler, tout était différent, et j’avais le sentiment que je ne savais plus rien. Les méthodes étaient plus modernes, tout allait vite, les collègues voyaient mon statut de Compagnon d’un mauvais œil, et mon salaire couvrait à peine mes besoins. Pendant mon séjour, j’ai rencontré ma future épouse, une Suissesse. Nous nous sommes mariés en 2010, et j’ai compris que je ne resterais pas employé.
Quelles ont été les étapes de maturation du projet ?
J’ai commencé à investir dans du matériel de qualité mis aux enchères ou sur des sites d’occasion. Dans les bureaux techniques de « Egokiefer » chez « Gindraux Fenêtres », j’ai acquis des connaissances essentielles en gestion d’entreprise et en vente, puis en rénovant notre propre maison d’Aigle, j’ai peaufiné des techniques, comme celles de l’isolation pour pouvoir proposer mes services du mur brut au mur final. En 2021, j’étais prêt, et je me suis lancé. Mon objectif : offrir des conditions de travail paisibles sans reproduire les travers créateurs de stress que j’avais vécus dans la plupart de mes postes. Tout a bien démarré, et puis…
L’accident, une façade tombe sur vous…
En 2022, résultat : 35 fractures, 6 mois de lit, 4 mois de fauteuil roulant, 2 ans d’incapacité de travail, des chantiers interrompus, des difficultés financières importantes. Ma collection de motos, que j’avais restaurées, a été vendue intégralement. De plus, mon employé, Adrian Mollet, a décidé d’investir pour sauver l’entreprise en devenant mon associé. Ma femme était prête à vendre la maison. Nous nous sommes tous serrés les coudes.
L’entreprise a repris ses activités en 2024. Votre associé et Aubin occupent plus le terrain, tandis que vous vous concentrez sur les études de projets et le versant administratif. Concrètement, quelles mesures avez-vous mises en place ?
Mon but n’est pas de dégager la marge la plus grande possible, mais de fournir un travail de qualité au meilleur prix. Je sais ce dont j’ai besoin pour vivre. Nous fonctionnons avec des horaires flexibles. Bien sûr, nous avons un planning de travaux global à respecter, mais personne ne doit être devant la porte à 7 h 30 pile. J’applique une politique salariale équitable : nous gagnons tous le même salaire, et nous possédons tous une carte de crédit de la société, ainsi personne ne doit avancer de l’argent pour des frais liés à l’entreprise. L’équipement est également totalement payé : pantalons, chaussures, veste, etc., sans oublier le sac EPI, Équipement de Protection Individuelle, comprenant le nécessaire pour protéger les employés aux conditions de travail à risques (gants, protection auditive, etc.). Les téléphones et les tablettes utiles au quotidien sont pris en charge par la structure. Je vais même plus loin, nos prestations et notre matériel sont proposés à prix coûtants aux collaborateurs et à leur famille, etc.
Le résultat ?
Je suis entouré d’hommes heureux, responsabilisés, dont la personnalité grandit grâce à une activité qu’ils aiment et dans lequel ils s’épanouissent. La qualité du travail en sort grandement renforcée. Je leur transmets mes connaissances, notamment en ce qui concerne les ouvrages à l’ancienne, comme la porte du Château d’Aigle rénovée par nos soins en 2024. Je n’ai pas à me préoccuper d’enjeux de pouvoir, nous avons tous la même place et la possibilité de nous exprimer librement.
Pas de doute, KEL Menuiserie Sàrl se fond parfaitement dans le courant de l’Économie sociale et solidaire incarnée par APRÈS-VD, la Chambre de l’économie sociale et solidaire, dont le but est de fédérer les entrepreneurs soucieux de vivre au quotidien un rapport au travail et à l’argent plus juste et plus durable. Merci Patron!
*Certificat d’aptitudes professionnelles — qualification d’ouvrier ou d’employé qualifié dans un métier déterminé
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