Ah, qu’elle était jolie, la Nymphe du Léman ! Qu’elle était jolie avec ses longs cheveux, son regard profond, et ses écailles parfaites tissées en queue de poisson ! Qu’elle était jolie, et puis gentille, calme, se laissant admirer par les âmes de passage.
Elle venait souvent se poser sur un rocher qu’elle avait choisi avec soin. Son inclinaison lui donnait une assise noble et délicate, sa position lui permettait d’observer à loisir les alentours. Mais un jour, après avoir entendu la sculptrice Natascha de Senger évoquer le mythe de La Lorelei, elle se dit en regardant les montagnes : « Comme on doit être bien de l’autre côté. Quel plaisir de se laisser glisser dans de nouveaux courants, de plonger dans des remous inconnus, d’être emportée par les tourbillons du Rhin et ceux de l’amour » !
À partir de ce moment, son environnement lui parut insipide. Elle fixait les cimes à l’horizon. Des larmes coulaient parfois sur ses joues, et elle se détournait des regards. Natascha de Senger, peinée de sa tristesse, invita le Dieu Pan à lui tenir compagnie. Ses traits évoquaient ceux de Noureev, et enchantèrent la Nymphe. Ainsi, pendant un temps, le clapotis de l’eau du Léman et les mélodies de Pan suffirent à nourrir son âme et son imaginaire.
Pourtant, un matin, la Nymphe sentit rejaillir en elle l’appel de l’« outre-montagne ». Ses iris scrutèrent les neiges accrochées au ciel, et son cœur battit la chamade à la pensée de franchir les cols puis de plonger dans l’énergie immense du rival de son Rhône. Hélas !
Pan s’aperçut bien de la langueur de la petite. Content de son sort et de ses attraits, il ignorait la profondeur de son mal, et quand elle lui avoua qu’elle souhaitait partir, il crut défaillir.
- Ah, par Zeus, Nymphe, tu veux me quitter ?
- Oui, Pan.
- Je ne joue pas assez ton air préféré ? Je peux m’y attacher !
- Ce n’est pas la peine, Pan.
- Mon amitié ne te suffit pas ?
- Non, Pan, ce n’est pas cela.
- Alors, qu’est-ce que c’est ? Que veux-tu ?
- Je veux franchir les montagnes plonger dans le Rhin.
- Mais malheureuse, tu ne sais pas que le Rhin est un fleuve puissant ? Et si le courant t’emporte ?
- Je m’accrocherai aux embarcations, et glisserai sur les rochers.
- Mais, les rochers représentent des dangers…
- J’esquiverai leurs angles coupants, je suivrai les poissons.
- Pauvre Nymphe, même les marins périssent dans les tumultes de ce fleuve légendaire !
- Oui, j’ai entendu l’histoire de La Lorelei, la jeune femme à la beauté fatale. Justement, il est temps que je grandisse. Je veux ressentir les frissons du désir. Je veux être convoitée. Je veux apprendre à chanter, à ensorceler !
- Mais, Nymphe, je vais te perdre !
À partir de ce jour, la Nymphe s’appliqua à peigner ses cheveux, tout en se montrant sous son meilleur sourire. Les grèbes huppés et les cygnes se relayèrent pour lui donner des cours de chant, et ses progrès fulgurants forcèrent l’admiration. Petit à petit, celles et ceux qui s’étaient prêté.e.s au jeu, avec des degrés d’innocence variable, comprirent que le rêve de la Nymphe ne se réaliserait jamais. La tristesse s’infiltra dans tous les nids, tous les ports, toutes les molécules d’eau du lac. Pan, le plus malheureux, ne parvenait pas à détruire son rêve.
La Nymphe pensait toujours qu’elle pourrait faire le grand voyage avec la sculpture La Lorelei sur laquelle Natascha de Senger travaillait avec ardeur, et dont le départ était proche. Lorsque la sculpture de la Lorelei fut terminée, un silence de mort s’abattit sur le Léman. Plus un bruissement d’ailes, plus un clapotis, plus un souffle. Tous les regards, se tournèrent vers la Nymphe. Assise sur son rocher, elle ne répondit guère aux timides sollicitations de ses amis. Inquiets, ils s’approchèrent doucement.
Poème de Heinrich Heine
Die Lorelei
Ich weiß nicht, was soll es bedeuten, Dass ich so traurig bin; Ein Märchen aus alten Zeiten, Das kommt mir nicht aus dem Sinn. Die Luft ist kühl, und es dunkelt, Und ruhig fließt der Rhein; Der Gipfel des Berges funkelt Im Abendsonnenschein. Die schönste Jungfrau sitzet Dort oben wunderbar, Ihr goldenes Geschmeide blitzet, Sie kämmt ihr goldenes Haar. Sie kämmt es mit goldenem Kamme Und singt ein Lied dabei; Das hat eine wundersame, Gewaltige Melodei. Den Schiffer im kleinen Schiffe Ergreift es mit wildem Weh; Er schaut nicht die Felsenriffe, Er schaut nur hinauf in die Höhe. Ich glaube, die Wellen verschlingen Am Ende Schiffer und Kahn; Und das hat mit ihrem Singen Die Lorelei getan.
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