Marie Antoinette Gorret, née en 1956 à Martigny, est une artiste valaisanne exceptionnelle à plus d’un titre. Non seulement elle a été la première femme à exposer ses œuvres à la fondation Gianadda en 1982, mais surtout son énergie chaleureuse, sa vivacité communicative et son regard pétillant galvanisent tous ceux dont la route croise la sienne avec bonheur. Rencontre.
Après avoir franchi une tranchée bordée d’arbres se dressant tels des cerbères, je parviens à la porte d’entrée où des sculptures de cochons m’observent, heureusement sans grogner. Une femme élégante et fluette, dont les yeux me scrutent m’accueille. Et là, à Charrat, perdue en Valais, je me transforme en Alice au pays des merveilles, et tombe dans un univers incroyable. Gainsbourg fredonne, des objets du monde me parlent de voyages, des livres d’art posés sur tous les murs et meubles m’invitent à la découverte, des tulipes pourpres fanées, néanmoins de toute beauté, rendent un hommage vibrant à la vie, un plateau de gourmandises me murmure « mange-nous » tandis qu’une tisane, comme un élixir, assouvit ma soif.
L’âge de raison
Marie Antoinette Gorret a sept ans lorsqu’elle reçoit son premier prix artistique de dessin à l’école. « J’étais si fière ! J’ai immédiatement adopté la boîte de crayons récompensant mes efforts, et j’ai su que je deviendrais artiste. C’était sans équivoque » raconte-t-elle, attendrie par ce souvenir. Elle ne lâchera plus les couleurs, et après des études aux beaux-arts de Sion achevées en 1976, elle enchaîne par un diplôme d’arts appliqués qu’elle termine en 1980. Ainsi dotée d’une double casquette, elle inaugure un parcours professionnel riche tout en poursuivant une carrière personnelle en parallèle.
Les affiches
Passionnée par le support, Marie Antoinette Gorret se lance avec fougue dans une production d’affiches colorées et vibrantes évoquant son rapport à la vie, à l’amour, aux relations, à l’humour aussi bien qu’au monde ou encore au plaisir. De 1997 à 2007, l’exposition, installée en extérieur sur le barrage d’Émosson, au Paléo festival ou au cœur de plusieurs villes suisses, suscite beaucoup d’intérêts et de réactions. « Par mon travail, je touche les émotions que nous ressentons tous. Les affiches m’ont permis de partager ma sensibilité hors d’un milieu élitiste. Un dessin accompagné d’un mot, d’une petite phrase peut réveiller un sentiment enfoui. Quand un regard en révèle un, c’est magnifique à observer », explique l’artiste.
Les sept Montagneux
Les thérianthropes sont des créatures oscillant de l’état humain à celui d’animal, ou vice versa, comme le loup-garou. Ce va-et-vient a interpellé Marie Antoinette Gorret. En effet, nous possédons tous une part intime en lien avec la nature, surtout en Valais où elle nous entoure plus qu’ailleurs. Les Montagneux, dont les splendides cornes évoquent des bouquetins, allient à merveille la noblesse des femmes et des hommes de notre canton, profondément attachés à leur terre, de même que la force de la faune d’où ils puisent la leur. Chaque sculpture monumentale (environ six mètres de haut) en bronze représente tour à tour : la curiosité, l’étonnement, la tendresse, l’espièglerie, la complicité, la fierté et la contemplation. Ils sont installés à l’avenue de la Gare à Crans-Montana, et dialoguent avec les passants attentifs ou plus pressés.
Le goût du terroir
Après avoir constaté que les femmes ne réagissent pas aux effets de l’alcool comme les hommes, Marie Antoinette Gorret décide de créer un vin plus adapté au gabarit féminin. « On boit un verre entre filles et on est saoule, cela ne va pas », s’exclame l’artiste. Elle contacte Delphine Dubuis, œnologue à Ayent, et lui propose de relever le défi. Le résultat : Moderato, « un muscat modéré (8,2 %) et chantant pour s’enivrer en douceur » hébergé au domaine Jean-René Germanier SA à Vétroz. La photographie d’Olivier Maire, en marge de l’article, capte parfaitement l’atmosphère recherchée lors de la création du breuvage. En raison des restrictions dues à la pandémie, ce vin s’est avéré une source de rencontres et d’échanges extraordinaires. « Le partage avec autrui demeure ma plus grande joie. Lors des livraisons, j’ai revu des personnes qui possédaient une ou plusieurs de mes œuvres depuis longtemps. C’était très touchant de me rendre compte de la solidité des liens tissés au fil du temps. »
Gribouille dans tout ça ?
Gribouille, gribouillage, gribouiller, mais c’est dessiner en négatif, ou bien ? Pas du tout ! Gribouille est le héros de la page Instagram @gorretmarieantoinette. Tout de gris vêtu, et vous observant avec des yeux bleus amoureux, Gribouille est le chien de l’artiste. Lors des nombreuses promenades qu’il effectue avec Marie Antoinette Gorret, souvent il disparaît parmi les roches rugueuses, le gris d’un plan d’eau ou les troncs d’arbres entourés de neige immaculée. Alors, « Cherchez Gribouille » s’est transformé en jeu, et les abonnés scrutent les images pour le pister. Une façon ludique de nouer des liens tout en retrouvant de la légèreté en ces temps troublés.
Après plus d’une heure de conversation à bâtons rompus, de fous rires, et de surprises, je reprends ma route vers de nouvelles aventures. En mon cœur la joie profonde d’avoir rencontré une âme et découvert un univers que j’ai envie de partager avec le monde entier. L’époque science fictionnelle que nous traversons interroge nos rapports aux autres, et l’attitude généreuse, inconditionnelle et aimante de Marie Antoinette ne peut que nous donner foi en l’avenir du genre humain.
P.S. Marie Antoinette rime avec coquette, et s’écrit sans tiret !
https://www.marieantoinette.ch/
@gorretmarieantoinette
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